Cuvée Rouge Fût De Chêne Dire Straits 2022
26/03/24 Musique aucun
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Malgré des débuts difficiles, Dire Straits est devenu en quelques années un des plus grands (gros) groupes de toute l'histoire du rock. De leurs concerts dans les bars enfumés en 1977 aux tournées interminables dans les stades immenses aux quatre coins de la planète en 1992, le groupe a énormément évolué, changé, et a peut-être même vendu son âme au diable (commercialement parlant).
Il y aurait tant de choses à dire sur l'alchimie du son de Dire Straits et surtout sur le jeu de guitare éblouissant de son leader Mark Knopfler qu'un roman ne suffirait pas. Alors, dans cet article, nous nous bornerons à revisiter les six albums studio de leur courte carrière, ainsi que les lives officiels du catalogue. Et croyez-moi, il y a du boulot !
1978 - DIRE STRAITS
Enregistré début 1978, ce premier album éponyme rencontre un succès foudroyant grâce au single phare "Sultans Of Swing", et ce, malgré la tendance musicale de l'époque où le punk redéfinissait radicalement le rock à grands coups de guitares braillardes et mal accordées.
Reconnaissable entre mille, le son très "ligne claire" de Dire Straits brillait alors par sa différence. Mais avant tout, c'est bel et bien la virtuosité de Knopfler, sa façon de faire corps avec son instrument et sa facilité déconcertante qui frappa le public.
En effet, son jeu aux doigts (et en son clair) lui permettait de nuancer très finement les notes tirées de sa Fender Stratocaster qu'il utilisait aussi bien pour s'accompagner en rythmique que pour délivrer des solos époustouflants.
Faut-il rappeler que Mark est un gaucher qui joue en position de droitier ?
Ce "mauvais pli" contracté lors de son apprentissage ajoute une singularité à son jeu qui en fait un guitariste totalement à part, avec une identité vraiment très marquée. En d'autre termes, on reconnait une guitare jouée par Knopfler de la même manière que l'on reconnaitrait la voix d'une personne.
Alors, inutile de s'étaler davantage sur la technique de sa main droite, nous dirons simplement qu'elle a mis K.O même les plus septiques... sauf peut-être les punks qui vomissaient ce genre de musique !
Sur cet album, Dire Straits est composé de Mark Knopfler à la guitare lead, David Knopfler à la guitare rythmique, John Illsley à la basse et Pick Withers à la batterie.
Produit par Muff Winwood, l'album est doté d'un son rond, chaud, très teinté années 70, avec une grande clarté qui permet d'entendre distinctement tous les instruments.
Au final, Dire Straits distille ici un pub rock assez rétro mais terriblement efficace, où les influences de J.J Cale sont plus qu'évidentes.
On y entend pour la première fois la fameuse guitare métallique National de 1934 (sur Water of love, Wild West End), et bien entendu la reine Stratocaster qui brille sur la quasi totalité des titres.
Un premier album remarqué donc, qui conquit le grand public malgré une approche assez puriste et non commerciale de la musique, et ce, grâce notamment au titre Sultans Of Swing couplé au jeu de guitare étincelant de Knopfler.
1979 - COMMUNIQUÉ
Il s'agit à présent de transformer l'essai et de passer le cap du "syndrome du deuxième album". Communiqué reprend grosso modo les mêmes recettes que sont prédécesseur, à savoir un son limpide, chaud et rond, avec toutefois certains morceaux légèrement teintés de pop, et donc un poil moins roots que ceux du premier album éponyme.
Lady Writer a été choisi comme single afin de promotionner l'album, avec en face B, tenez-vous bien, Where Do You Think You're Going, qui reste un des titres les plus chéris par les fans.
Lady Writer se voulait être une redite de Sultans Of Swing, mais avec un gout de réchauffé évident, et donc, il y a peut-être eu là une erreur de choix de stratégie concernant la "vitrine" de ce second opus.
Ceci dit, ne boudons pas notre plaisir, car l'album est excellent de A à Z. C'est le sublime Once Upon A Time In The West qui ouvre les hostilités et qui nous embarque avec son groove reggae, ses mesures asymétriques et ses sonorités réverbérées où la Stratocaster plane au dessus de la section rythmique ronde et chaleureuse.
On notera au passage les chœurs élégants qui font écho au solo de guitare final. Bref, ce titre est un must, et prendra toute sa mesure sur scène, comme en témoigne le live Alchemy de 1983, mais ça, on en reparlera plus loin...
News, avec ses arpèges fines achève d'installer l'ambiance avant l'écoute de Where Do You Think You're Going, un sommet de Communiqué, dont l'envolée finale magnifiquement construite n'a pour seul défaut que d'être trop courte.
Hélas, ce morceau n'a plus jamais été joué sur scène par le groupe depuis 1981.
Communiqué (la chanson) et Single-Handed Sailor montrent l'étendue du talent de Mark Knopfler à la guitare rythmique également. On comprend mieux aujourd'hui la frustration et le départ de David, constamment dans l'ombre de son frère. D'ailleurs, cet album sera le dernier dans la formation originelle de Dire Straits...
On retrouve aussi sur cet album Portobello Belle (un morceau important du groupe), très acoustique, agrémenté d'une partie de piano du plus bel effet, et enfin Follow Me Home clôt l'album de son indolence, dans une ambiance de soir d'été, au son du bruit de vagues et des grillons.
En résumé, pas de prise de risque majeure sur cet album donc, mais quelle belle réussite ! Communiqué est le dernier témoin de la première période de Dire Straits sous forme de quatuor, avant la sédentarisation des claviers dans un premier temps, puis du saxophone un peu plus tard.
1980 - MAKING MOVIES
Enregistré en 1980 et produit par Jimmy Lovine, Making Movies est l'album charnière de la discographie de Dire Straits.
À l'aube des années 80, le groupe délaisse le style blues-rock au profit d'un pop-rock qui va les propulser au sommet des charts de la planète, sans David toutefois, qui quittera le navire avant la fin des enregistrements.
Avant même le début des sessions, il y avait de la part de Mark Knopfler une volonté affirmée de durcir quelque peu le son de Dire Straits.
Sur scène, d'une manière générale, les interprétations live du répertoire étaient plus toniques que ce que l'on pouvait entendre sur les albums, et c'est cette énergie rock (toute relative, ce n'est pas du métal) qui va être en partie retranscrite sur ce nouvel opus au travers de titres tels que Tunnel Of Love, Expresso Love ou encore Solid Rock..
Presque seul maitre à bord, Mark Knopfler va jouer toutes les parties rythmiques avec de toutes nouvelles guitares dont il a récemment fait l'acquisition. De plus, afin d'étoffer le son du groupe et de parachever cette métamorphose, c'est Roy Bittan le claviériste du E-Street Band (Bruce Springsteen) qui vient à la rescousse, et qui va laisser tout en douceur une empreinte indélébile à ce troisième opus.
Tunnel Of Love (avec son intro-reprise de "The Carousel Waltz" de Hammerstein II) ouvre le bal, et on peut entendre d'emblée la rythmique nerveuse jouée au médiator par Mark Knopfler sur laquelle vient se greffer la batterie toujours aussi ronde de Pick Withers.
Ayant pour thème la fougue adolescente, les amours etc... ce morceau légendaire est une bien belle composition en montagnes Russes: On retiendra le fameux pont à 3'35" avec son mini solo de batterie, mais notre attention se portera tout particulièrement sur le solo de guitare final, si bien échafaudé, si bien construit, qui va crescendo, sans aucune note superflue, et qui, à son point culminant, cède la place aux arpèges joués au piano pour un final à faire tourner la tête à la manière d'un carrousel.
Puis vient Roméo And Juliet, un morceau majeur du groupe que Mark interprète encore aujourd'hui à chaque concert. L'intro si particulière est jouée une National de 1934 en accordage d'open de sol.
Dans la quasi totalité des cas, ce genre de guitare est utilisée pour le blues, la musique hawaïenne, souvent avec un bottleneck, mais rarement dans un contexte pop-rock comme dans le cas présent... Comme quoi, on peut faire de bien belles choses en détournant l'utilisation des instruments de leur vocation première.
Le reste de l'album contient encore au moins deux titres célèbres tels que Expresso Love (dans la lignée de Tunnel Of Love, avec un solo de guitare joué au médiator et non aux doigts, je le précise parce que c'est rarissime chez Knopfler), et Solid Rock.
Ce dernier a largement été joué dans toutes les tournées de Dire Straits, y compris dans les concerts caritatifs, bien qu'il ne casse pas non plus trois pattes à un canard...
Enfin, les trois autres morceaux de Making Movies, bien que peu mis en lumière, restent tout aussi bons que les autres susnommés.
Skateaway traite du changement de vision d'une fille qui patine sur des rollers en ville dès lors qu'elle se met les écouteurs de son walkman sur les oreilles... "She's MAKING MOVIES on location"...
Hand In Hand est une ballade hélas méconnue, tandis que Les Boys, qui clôture l'album, surprend par son originalité. À découvrir.
Cependant, bien que les membres du groupe n'y soient pour rien, la nullité des clips de promotion restera la seule ombre au tableau concernant cet album pourtant si bien conçu. D'ailleurs, la cohérence de la production fera dire à Jimmy Lovine que ce disque s'écoute comme un seul titre...
1982 - LOVE OVER GOLD
Love Over Gold est, selon bon nombre de fans, la meilleure production de Dire Straits. Il faut dire qu'au fil du temps, le son du groupe a mûri, s'est étoffé, et ce, depuis l'arrivée du claviériste Alan Clark en 1980 pour la tournée Making Movies. C'est donc dans cette continuité que s'inscrit Love Over Gold, dans un registre encore plus complexe, plus ciselé, plus aérien, plus progressif, bref, plus riche.
Notons aussi pour la première fois l'utilisation de guitares saturées, le son crunchy de Making Movies n'en était que les prémices.
Telegraph Road, long de 14 minutes, est le premier titre du disque.
Et quel titre ! L'idée a germé dans l'esprit de Knopfler dès 1980 alors qu'il traversait de grands espaces aux Etats-Unis sur cette fameuse route qui relie Detroit à Toledo.
Et dire qu'il y a longtemps cette route n'était qu'un chemin ! Puis l'humain a débarqué avec ses gros sabots, et vogue l'évolution socio-économique à outrance...
C'est de cela que traite la chanson.
Inutile de se perdre en descriptions inutiles, la seule chose à faire est d'écouter simplement ce monument du rock et de se laisser transporter par son intro légendaire, par ses successions de changements de rythme, et par son solo de guitare final. Un dessin vaut mieux que mille mots.
Telegraph Road reste à ce jour la composition la plus longue et la plus complexe que Knopfler ait composé, avec l'aide incontestable du claviériste Alan Clark pourtant non crédité...
Changement radical d'ambiance avec Private Investigations. C'est le crépuscule, la fin d'un jour pluvieux et quelques petits bouts de ciel bleu foncé apparaissent à l'horizon, derrière les nuages sombres.
Sûrement une des compositions les plus audacieuses du groupe de par sa structure, son ambiance, sa complexité harmonique et son originalité.
On remarque le mélange improbable - mais totalement en osmose - de marimbas, de guitare classique, de piano et autres instruments "modernes" de rock pour un résultat absolument unique.
Il est difficile de concevoir de nos jours qu'en 1982 un tel titre, si long, si étrange et échappant à tout formatage, avait été édité en 45t pour atteindre la 2e place des charts...
À noter également que ce morceau est né partiellement sur scène, en 1981, lors d'improvisations live sur News, un titre de Communiqué.
Petite ombre au tableau, ce sera bien la seule, je veux parler d'Industrial Decease. Son côté enjoué et humoristique dénotent en comparaison du reste de l'album. Il n'est pas sans rappeler d'ailleurs Walk Of Life qui paraitra deux ans plus tard sur Brothers In Arms.
Pas grave ! Car vient à présent le morceau éponyme Love Over Gold, tout en subtilité avec ses accords complexes et ses sons sculptés qui créent une ambiance singulière, due une nouvelle fois à ce mélange improbable d'instruments qui composent la formule magique de cet album.
La structure est alambiquée, les interventions de la batterie sont intermittentes, et on se laisse happer encore une fois par la guitare classique de Knopfler entrelacée aux sons des pianos et autres marimbas...
Enfin, It Never Rains, avec ses accents Springsteeniens clôt l'ensemble avec en prime à la fin un solo de guitare quelque peu déjanté noyé dans un tourbillon de flanger. Ce morceau aurait presque pu être inclus dans leur précédent album Makings Movies de par son style un peu plus terrien.
Alors qu'à la fin de 1982 les tendances musicales étaient clairement orientées punk - new wave - pop formatée, Dire Straits offre avec Love Over Gold un disque de rock progressif à contre courant de l'époque à laquelle il est sorti. Et pourtant, le public était bel et bien au rendez-vous.
À la fin des sessions d'enregistrement, le batteur Pick Withers quitte à son tour le groupe, invoquant une profonde lassitude. Il sera remplacé par l'énergique Terry Williams.
Juste avant de partir en tournée, le groupe enregistre d'abord un EP 3 titres aux sonorités rock'n'roll nommé ExtendedancEPlay, ainsi que la B.O du film Local Hero (mais celle-ci ne sortira que sous le nom de Mark Knoplfer malgré la présence de tous les musiciens de Dire Straits).
1983 - ALCHEMY
Nous voici à l'apogée artistique de Dire Straits. Ce point culminant de leur carrière a été immortalisé sur le double live Alchemy enregistré au Hammersmith Odeon de Londres en juin 1983.
Ce disque balise en quelque sorte la première période de la formation, juste avant qu'elle ne devienne une énorme machine avec le succès planétaire de "Brothers in arms".
Ce concert, livré à l'état brut ou presque, c'est à dire sans retouches et autres re-bidouillages en post-recording , témoigne de l'authenticité de la prestation et de la maitrise des musiciens. C'est donc un vrai live, chose suffisamment rare pour être soulignée... Le mixage final nous offre un son clair et limpide où tous les instruments se détachent avec clarté.
Les anciens morceaux se retrouvent alors dépoussiérés et totalement réarrangés, comme par exemple Once upon a time in the West, épique et vaste, qui s'étale sur plus de 13 minutes (contre les 5 minutes de la version originale parue dans l'album "Communiqué" en 1979).
Car c'est bien là que réside tout l'intérêt de ce concert: les versions proposées ici sont vraiment extrêmement différentes des versions originales. On les redécouvre sous un angle totalement différent parce qu'elles sont interprétées avec le nouveau son fin, cristallin, aérien et l'approche progressive du dernier album en date Love Over Gold.
Aucun morceau n'échappe à la règle, et le résultat est époustouflant.
Sultans Of Swing, à l'instar de Once upon A Time In The West, fait partie des titres les plus métamorphosés de la set-list. C'est sûrement l'interprétation live la plus jouissive que l'on puisse trouver, hormis peut-être la version (pirate) du 2 Août 1996 à Vaison La Romaine, mais là, c'est une autre histoire, et les connaisseurs les plus acharnés sauront probablement de quoi je veux parler...
Que dire de plus si ce n'est que l'on retrouve Private Investigations, Telegraph Road, ou encore Tunnel Of Love, vivantes, libérées, interprétées impeccablement devant un public en parfaite communion?
Rien.
On l'aura compris, cet album live est incontournable dans la carrière de Dire Straits. Il est malheureusement, comme je le disais plus haut, le chant du cygne d'une période pleine de fraîcheur et très créative que la célébrité allait quelque peu émousser dans les années à venir...
1985 - BROTHERS IN ARMS
C'est aux Bahamas, de novembre 1984 à mars 1985 que va être mis en boite Brothers In Arms, le cinquième album de Mark Kno... pardon de Dire Straits. Ma langue a fourché, car comme nous allons le voir, le despotisme du leader du groupe va encore s'accentuer lors de ces cessions, n'hésitant pas à faire rejouer la quasi totalité des parties batterie de Terry Williams par Omar Hakim, et même à faire remplacer le fidèle John Illsley par un bassiste de session sur quatre morceaux.
Détail important, Guy Fletcher (claviériste, guitariste, producteur) fait sa première apparition ici, et continue encore en 2024 à officier aux côtés du grand chef.
Contrairement aux apparences, Brothers In Arms n'est pas un album si commercial qu'il en a l'air. Je me risquerai même à dire qu'il est expérimental dans une certaine mesure, et ceci pour trois bonnes raisons :
- Premièrement, il a été le tout premier album commercialisé sous format CD, ou "disque laser", comme on disait à l'époque, ce qui constitue déjà une forme d'expérimentation.
- Deuxièmement, Brothers In Arms, dans une démarche de recherche de "pureté absolue du son" est également le premier CD a être estampillé "DDD" (enregistrement digital, mixage digital et mastering digital), ce qui n'est évidemment pas sans conséquence sur le rendu final: Un son que l'on juge "froid" aujourd'hui à juste titre, et qui tranchait radicalement avec les productions analogiques du début des années 80.
- Troisièmement, la durée d'enregistrement disponible sur un CD étant bien supérieure à celle d'un disque vinyle, tous les titres de la face 1 (à l'exception de Walk Of Life) sont restitués dans leur longueur totale avec des parties instrumentales assez longues qui sortent complètement du format radio standard.
Ainsi, Why Worry et Money For Nothing dépassent allègrement les 8 minutes, tandis que Your Latest Trick et Ride Across The River flirtent avec les 7 minutes...
De plus, des techniques de pointe (de 1985) ont été utilisées pour sculpter certains sons de guitare.
Par exemple, le riff de So Far Away est joué sur une stratocaster... qui pilote un synthétiseur, ce qui lui confère cette sonorité assez indéfinissable que l'on situe entre le style hawaïen et l'effet de flanger.
Sur ce titre, comme sur tout le reste du disque, les nappes sont hyper présentes, et le son de la batterie assez artificiel, maigrelet et sec. On retrouvera d'ailleurs ce type de sonorités jusqu'au début des années 90 sur un nombre incalculable de productions.
Money For Nothing mérite amplement que l'on s'attarde sur son cas : Il y a tout d'abord cette incroyable longue intro de plus d'une minute et demie, sorte de montée orgasmique sur laquelle le batteur Terry Williams exécute un crescendo de roulements de toms et de caisse claire à se taper le cul par terre.
Pardon d'être vulgaire, mais il n'y a pas d'autres mots. Je me souviens avoir été mis K.O lors de ma première écoute de ce morceau en 85.
Bref, cerise sur le gâteau, avant l'entrée en scène de la batterie, Sting en personne vient parodier un des plus fameux tubes de The Police "Don't Stand So Close To Me" alors changé en "I want my MTV", chaîne musicale à laquelle Money For Nothing fait largement allusion.
Au sommet de cette montée retentit un des riffs de guitare les plus cools de toute l'histoire du rock. Le son est abrasif, robotique, suintant d'électricité, unique. Il a "simplement" été obtenu à l'aide d'une pédale wah-wah en position fixe interposée entre une Gibson Les Paul et un bon vieil ampli Marshall.
Quant aux paroles, Knopfler se met dans la peau de deux employés de magasin d'électroménager dont il avait surpris la conversation un jour à New-York. L'un d'eux, "un gros connard avec une chemise à carreaux" (sic), tout en regardant les écrans de télévision d'exposition, critiquait vivement les artistes des clips diffusés sur MTV. Un langage cru, voire vulgaire, sans recul, qui dépeint, selon lui des "tafioles payés à ne rien foutre qui se font des ampoules au petit doigt" !
Partageait-il l'avis des "installateurs de four à micro ondes", où se moquait-il de leur peu de jugeote? Sûrement un peu des deux. Difficile à deviner tant Mark Knopfler affectionne les doubles sens dans ses textes.
L'autre "gros" titre de cet album est bien entendu le superbe morceau éponyme Brothers In Arms où la douceur dont fait preuve le groupe était jusqu'alors inédite, tout comme sur le cotonneux Why Worry d'ailleurs... Deux titres qui s'accordent si bien avec la magnifique pochette représentant la National sur un fond de ciel bleu clair et de nuages saumonés.
Your Latest Trick avec son célèbre solo de sax et Walk Of Life restent également des incontournables du répertoire du groupe. Ils sont sortis en single entre 1985 et 1986, et sont encore interprétés par Knopfler aujourd'hui, à l'instar de So Far Away, Money For Nothing et Brothers In Arms.
On l'aura compris, c'est un album majeur du groupe sur lequel One World serait peut-être, peut-être le seul point faible.
Mais il est indéniable que le succès colossal de ce disque n'est pas sans lien avec le fait qu'il ait été le tout premier album à être distribué en format CD.
Autrement dit, dans les magasins de Hi-Fi, les vendeurs faisaient inévitablement écouter Brothers In Arms aux chalands afin de leur faire découvrir la "pureté" du son numérique... ce qui a évidemment énormément contribué à faire connaitre Dire Straits à un public encore plus large.
En conclusion, je persiste et signe : bien qu'ancré dans son époque de par ses sonorités "futuristes", Brothers In Arms n'est pas un album à vocation purement commerciale, et ce, malgré plus de 30 millions d'exemplaires vendus !
S'il avait été enregistré quelques années plus tôt ou plus tard, il aurait laissé apparaitre de manière beaucoup plus évidente ses accents jazzy (Your Latest Trick), ses rythmiques country-rock (Walk Of Life, So Far Away), son orgue Hammond, ses phrasés bluesy (The Man's Too Strong), ses percussions exotiques (Ride Across The River) ou encore ses gimmicks funky (One World).
Car si on se remet dans le contexte de l'époque, tous les éléments précités n'étaient pas franchement au goût du jour en 1985...
Enfin, pour terminer cette longue analyse, voici quelques anecdotes qui vous permettront de briller en société :
- La seule et unique partie de batterie sur laquelle on peut entendre Terry Williams est l'intro de Money For Nothing.
C'est Omar Hackim que l'on entend sur tout le reste de l'album.
- La guitare National de 1937 qui a été utilisée pour la pochette et qui donc symbolise cet album, ne fait finalement que de brèves apparitions de quelques secondes, pour quelques phrases jouées au bottleneck sur The Man's Too Strong.
La rythmique acoustique est en fait jouée sur une Ovation...
- Ce n'est pas John Illsley (bassiste officiel du groupe) qui joue de la basse sur Why Worry, Ride Across The River, One World et Brothers In Arms, mais bel et bien des musiciens de sessions !
- Le terme "faggot" (pédé,tafiole) sur Money For Nothing a valu un procès à Mark en 2022 alors même qu'il ne prononçait plus ce mot en concert depuis 1985... mais le mal était déjà fait !
- Money For Nothing est créditée "Knopfler / Sting". Elle est l'une des très très rares chansons que Knopfler a co-signés durant sa carrière.
Sting, n'ayant participé à l'enregistrement que de manière amicale ne souhaitait pas apparaitre dans les droits d'auteur, mais son management n'en pensait pas de même, d'où l'ajout de son nom.
- Il existe aujourd'hui un pressage vinyle au format double album sur lequel on peut enfin écouter les titres dans leur intégralité, comme sur la version CD.
La boucle est bouclée.
1991 - ON EVERY STREET
Complètement rincés après la gigantesque tournée Brothers In Arms, le groupe suspend son activité pour une durée indéterminée.
On les verra cependant participer au concert du 70eme anniversaire de Nelson Mandela le 11 juin 1988, tout comme au concert caritatif de Knebworth en juin 1990.
En octobre 1988 parait la compilation Money For Nothing avec en prime une lecture inédite live de Portobello Belle, une version alternative de Where Do You Think You're Going, et deux remixes de Twisting By The pool et de Telegraph Road live (uniquement en version CD et K7, question de place).
En 1989 et 1990, Knopfler lorgne vers la country et le blues en formant The Notting Hillbillies, un groupe de vieux potes, et en sortant l'album Neck And Neck avec Chet Atkins, son idole de toujours...
Puis, retour à la case Dire Straits de novembre 1990 à mai 1991 pour l'enregistrement de l'ultime album studio du groupe : On Every Street.
Pour le style, on est ici dans la continuité des derniers projets "solo" de Knopfler cités plus haut, à savoir des influences country très marquées, quoique teintées du son "parfait" mais froid de 1990 - 1991.
Peut-on encore parler de groupe ?
Pas vraiment, car même si dans le livret du disque on est heureux d'apprendre que "Dire Straits are : Mark Knopfler, John Illsley, Alan Clark and Guy Fletcher", on remarque l'absence du batteur Terry Williams et la participation de bien d'autres musiciens dont Paul Franklin, joueur virtuose de pedal steel, qui va donner une couleur très américaine à cet album. Mais peut-être à l'excès, car bien que ne faisant pas partie officiellement du groupe, on peut l'entendre sur la totalité des morceaux, exécutant même certains solos...
Côté batterie, c'est le génial Jeff Porcaro (Toto) qui tient les baguettes. Oui mais voilà, Knopfler n'étant pas satisfait du résultat obtenu sur Heavy Fuel et sur Planet Of New Orleans décide de faire intervenir Manu Katché...
Ce dernier avouera avoir été chagriné par l'expérience, car il peut s'avérer très gênant de se retrouver en concurrence directe avec un confrère d'une telle aura.
Résultat final, sur l'album, Katché joue effectivement sur les deux titres susnommés, et se verra même proposer le poste de batteur pour la tournée à venir. Chose qu'il refusa en raison de ce fâcheux incident que nous mettrons sur le compte de la maladresse.
Bref, quand déboula sur les ondes le single Calling Elvis en septembre 1991, la surprise fut plutôt bonne, tant ce retour de Dire Straits semblait inespéré, et surtout tant ce premier extrait était fort sympathique à se mettre dans les cages à miel.
Ne sachant pas vraiment à quoi s'attendre pour le reste de l'album, il faut dire qu'à l'écoute de Calling Elvis l'auditeur se sentait encore en terrain connu, dans la lignée du fameux Brothers In Arms, avec dès les premières mesures, quelques notes de guitare Knopfleriennes, immédiatement suivies de la voix familière du maître sur fond de nappes de synthé.
De plus, la ribambelle de notes en gamme brisée à 2'09" restera quant à elle un des moments les plus remarquables du morceau.
En ce qui concerne la suite, le résultat est assez mitigé, car outre des titres commerciaux à l'instar de The Bug ou Heavy Fuel, l'auditeur sera franchement déçu par des navets tels que My Parties, ou encore par la "chansonnette" Ticket To Heaven, presque indigne de faire partie de la set-list.
Concernant cette dernière, il est tout de même intéressant de noter que derrière une mélodie un peu mièvre se cachent des paroles acerbes qui fustigent les télévangélistes. L'arrangement de cordes a été concocté par Alan Clark et George Martin (si, si, le producteur des Beatles).
Alors que Fade To Black et How Long semblent tout droit sorties de l'album des Notting Hillbillies, When It Comes To You et Planet Of New Orleans nous ramènent enfin à du Dire Straits plus familier, comme on en aurait souhaité d'avantage.
Enfin, citons On Every Street, le titre éponyme à l'envolée très réussie (toujours malgré la forte présence de la pedal steel et du sax de Chris White).
Ainsi s'achève la discographie studio de Dire Straits, avec cet album pas si mal dans le fond, quoiqu'un peu longuet. Il reste cependant le moins convoité des "vrais" fans.
La gigantesque tournée lucrative qui va suivre aura elle aussi quelques relents d'amertume...
1993 - ON THE NIGHT
Si certains considèrent que On Every Street est l'album de trop, alors assurément On The Night est l'album live de trop de la tournée de trop !
229 concerts dans 19 pays, de la promo à gogo, de la logistique compliquée, bref, de la grosse machinerie qui laissera dans l'inconscient que Dire Straits n'est un gros groupe commercial, mainstream, qui fait de la pop... et du pognon !
Le petit quatuor des bars enfumés s'était perdu dans les stades et au sommet des hit parades à tel point qu'au terme de cette tournée, Knopfler déclarera ne plus vouloir entendre parler de Dire Straits pendant au moins dix ans.
Un très bon documentaire avait été diffusé sur canal+ en 1992 dans lequel le thème était axé sur le management de l'entreprise multinationale Dire Straits...
Assez décevant, mais ce documentaire rendit parfaitement claires les insinuations du leader quand il confiait par bribes qu'il "était difficile de se concentrer sur la musique dans ces conditions", et qu'il "souhaitait continuer avec moins de musiciens, moins de grandes salles, moins de pression", bref, avec moins de business surtout.
Pourtant, à l'automne 1991,comme en témoignent certains bootlegs, le groupe surprend par son audace à interpréter des titres de derrière les fagots tels que Setting Me Up (premier album), Portobello Belle, I think I Love You Too Much + The Long Highway (deux inédits), Planet Of New Orleans, Fade To Black ou encore Iron Hand... curieux non ?
Hélas, début 1992, la setlist va se figer afin de délivrer soir après soir le même show millimétré, sans réel enthousiasme, un peu comme on accomplirait un travail à la chaîne.
Et ce sont ces concerts "parfaits" du printemps 1992 qui seront retenus pour le futur album live On The Night...
Les morceaux qui le constituent sont le résultat d'assemblages, de collages de bandes provenant de deux concerts différents, et de très sérieuses suspicions permettent même d'affirmer que certaines parties ont été rejouées en studio.
Pire encore, la maison de disques fit le choix d'éditer un simple album, ce qui priva l'auditeur de titres majeurs tels que Sultans Of Swing, Telegraph Road ou Tunnel Of Love, ce qui n'est pas rien.
Puis, pour inciter le fan a débourser un peu plus de ronds, un emplacement vide était prévu à l'intérieur du boitier pour y loger le CD single Encores, avec comme argument de vente : "Exeptionnel, CD 4 titres au prix d'un CD 2 titres".
Mieux vaut s'abstenir de tout commentaire, c'est pas bien de dire du mal...
Mais si nous faisons fi de toutes ces entourloupes artistiques et commerciales, que vaut alors On The Night ?
Première constatation, le son est limpide, et le confort d'écoute indiscutable. On retrouve Calling Elvis en début de concert, agrémenté d'un long solo de Pensa Shur immédiatement suivi d'un solo de percussions.
C'est bien ce qu'on attend de Dire Straits : des versions rallongées et donc différentes des albums studio.
En revanche, la pedal steel de Paul Franklin présente sur la totalité du disque peut effectivement s'avérer assez indigeste: Elle est vraiment malvenue sur des titres comme Roméo And Juliet, Brothers In Arms, et carrément de trop sur Private Investigations...
Private Investigations, parlons-en : La version lors de cette tournée est la plus élaborée de toutes, mais pas forcément la plus réussie.
Le tempo est ralenti afin d'amener de la lourdeur, les synthés sont très présents, voire invasifs, la guitare sursaturée de Phil Palmer en seconde partie est certes en harmonie sonore avec le reste, mais tellement éloignée de l'esprit du morceau original .
Et puis il y a ce mélange improbable de saxo et de pédal steel qui achève de rendre méconnaissable ce classique, mélange qui, laissera globalement une empreinte sonore indélébile sur le son de Dire Straits lors de cette tournée.
La ballade Roméo And Juliet est interprétée ici à la manière d'un slow, plutôt lourd, tandis que Money For Nothing amputée de sa légendaire intro démarre direct sur le génial riff de guitare.
Mouais, pourquoi pas, mais il manque un truc quand même...
On The Night, l'antithèse d'Alchemy paru dix ans plus tôt, laissera un petit goût amer aux fans de la première heure.
Lassé par toute cette énorme machinerie, Knopfler mettra fin à l'aventure en 1995 et mènera une carrière solo certes plus modeste mais tout à fait honorable.
Excepté sur la période allant de 1977 à 1979, Dire Straits n'était en fait par la suite qu'un groupe à la géométrie variable, composé de musiciens "en intérim" au service des compositions de leur leader.
Paradoxalement, Knopfler aura beaucoup moins changé de musiciens lors de sa carrière solo !
EXTRAS
En 1995 sort le Live At The BBC, uniquement parce que le contrat du groupe avec Phonogram exigeait un ultime album.
Ce "bouche trou" nous fait découvrir Dire Straits (les vrais) en concert à la BBC donc, en juillet 1978.
Proche des débuts, ce live timide mais honnête, n'ajoute finalement pas grand chose à la gloire du groupe, si ce n'est la curiosité d'entendre jouer le quatuor originel sans fard sur scène, au plus près des origines, quoi.
En extra, l'album est agrémenté d'une version live de Tunnel Of Love (toujours à la BBC, mais en 1981) un tantinet fébrile, et encore plus gâchée par l'affreuse fausse note du solo de guitare de Mark à 10'36 qui n'aura échappé à personne !
Un choix bien curieux de la part de la maison de disque...
Fort heureusement, et ENFIN, sort le coffret Live 1978 - 1992 à l'automne 2023 !
On y retrouve le Live At The BBC décrit plus haut, mais aussi Alchemy dans sa version intégrale: Quarante ans plus tard, Industrial Disease, Twisting By The Pool et Portobello Belle sont révélées officiellement au grand public... Il était temps, on n'en pouvais plus !
Ce coffret nous réconcilie avec la période On The Night puisque l'on peut enfin écouter l'intégralité du concert ainsi que des raretés (il manquait Sultans Of Swing, Telegraph Road, Fade To Black, When It Comes To You, Two Young Lovers, Tunnel Of Love, The Bug, Solid Rock et Going Home) plus un inédit I Think I Love You Too Much.
Rien à dire, c'est le pied, même si l'on aurait souhaité une version live de Planet Of New Orleans et de Settin' Me Up...
L'être humain est un éternel insatisfait.
Et puis enfin, ce coffret contient l'intégralité d'un brillant concert, inédit jusqu'à ce jour, enregistré au terme de la tournée Communiqué en Décembre 1979 au Rainbow Theatre de Londres, où le groupe en grande forme délivre un set impeccable, interprété avec beaucoup d'énergie et de virtuosité.
Il suffit d'écouter Lady Writter ou Southbound Again pour s'en convaincre.
Le plaisir de jouer est palpable, comme en témoigne la jam finale (4 reprises) avec Phil Lynott et Tony De Meur, un peu bordélique, mais tellement authentique !
Espérons que nous aurons droit à l'avenir à des sorties de lives officiels des tournées 1980-1981 (Making Movies) et 1985-1986 (Brothers In Arms), car elles sont les véritables chaînons manquants du cheminement artistique du groupe.
On peut rêver, non ?
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Dire Straits aura laissé une marque indélébile dans le monde de la musique moderne, n'en déplaise aux intellectuels / puristes du rock qui décrient ce qui pourrait éventuellement plaire à monsieur et madame Tout Le Monde.
Et justement, Dire Straits ratisse large, mais dans le bon sens du terme: Le musicien averti pourra écouter cette musique d'une oreille sophistiquée et y discerner les finesses harmoniques, la technicité des instrumentistes, bref, tout le côté bien foutu du truc, alors que l'auditeur Lambda se laissera porter simplement par ce rock si accessible à tous.
Ami et confrère guitariste, as-tu remarqué l'utilisation ingénieuse du système modal? As-tu entendu toutes ces dead-notes plus suggérées que jouées? As-tu remarqué que si tu utilises ta technique au médiator tu n'as aucune chance de reproduire quoi que ce soit correctement?
Mark Knopfler, ce "guitar-hero malgré lui", cette force tranquille aura apporté énormément dans les vies d'un nombre considérable d'êtres humains.
Malgré le peu de battage médiatique, son public lui est resté fidèle tout au long de sa carrière solo et les salles de concert n'ont jamais désempli.
Alors qu'en janvier 2024 Knopfler vendait aux enchères la presque totalité de sa collection de guitares au profit d'œuvres caritatives, le 12 avril sortait One Deep River, son dernier effort solo.
Cet album pourrait bien faire office de point final, car si l'on en croit les dires des connaisseurs, il y a des signes qui ne trompent pas : Le premier morceau qui ouvre le premier album de la discographie (Down To The Waterline) tout comme le morceau éponyme qui clôture le dernier album en date (One Deep River) évoquent tous les deux les profondeurs de la rivière Tyne, à Newcastle, ville dans laquelle Mark naquit.
De plus, la pochette crépusculaire semble en dire long...
La boucle serait-elle bouclée ?
God only knows.
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